Entretien avec Eva Jaisli - usic news, édition Novembre 2017
usic news: lorsque l’on fait des recherches sur vous et sur PB
Swiss Tools, on s’aperçoit rapidement que la communication est pour vous un thème très important. Cette impression est-elle juste?
Eva Jaisli: Absolument. J’accorde beaucoup d’importance à la communication interne comme externe.Vis-à-vis de l’ex- térieur, c’est la communication visant des groupes ciblés qui m’importe, mais nous ne communiquons que lorsque nous avons des messages substantiels à faire passer, que nous avons une connaissance claire du groupe ciblé et que nous pouvons déterminer nous-mêmes le canal de communication.
Une communication ciblée présuppose un grand professionna- lisme. Ainsi, nous disposons aujourd’hui d’une méthode stan- dardisée pour faire connaître des produits nouveaux. Lorsque, par exemple, je contacte nos partenaires commerciaux avec un nouveau produit, je connais le nom de ces personnes, je sais ce qu’elles font ou ce dont elles ont besoin et comment elles vont accueillir le message. Dans la communication, nous définissons et nous poursuivons des objectifs bien coordonnés. Lorsque nous lançons des informations par le biais des médias sociaux, les groupes cibles sont difficiles à contrôler. La numérisation offre donc beaucoup de nouvelles chances à la communication, mais comporte aussi des risques.
Comment cela influence-t-il concrètement la communication externe?
Il y a de nombreuses années, j’ai, en travail d’équipe, développé la communication non seulement vers l’extérieur, mais aussi à l’intérieur puisque la collaboration dépend en définitive de la manière dont s’effectuent les échanges d’informations en interne. La communication est vraiment bonne lorsque les tâches sont résolues au niveau interne par le dialogue en tenant compte des interfaces. Cela signifie que nous avons une culture qui nous guide dans nos relations entre collègues et en matière de communication. A mon sens, il faut que la communication, interne et externe, soit crédible et authentique. Je ne peux me comporter différemment avec mes collaborateurs et avec les clients. Il est important que nous ayons tous le même rapport à la communication et que nos fournisseurs, nos clients, et les autorités puissent recevoir ce que nous promettons. Pour assu- rer le respect du code de conduite et le flux de l’information, nous avons une directive interne qui définit non seulement les objectifs, mais aussi nos valeurs.
Si l’on regarde autour de soi, on voit dans votre entreprise beaucoup de supports de communication qui mettent en scène des femmes dans le langage visuel. Cela est-il intentionnel?
Tout à fait. Les femmes comme les hommes travaillent avec des outils. En toute logique, au cours des dernières années, nous ne nous sommes pas occupés uniquement de la diversité au sein de l’entreprise, mais aussi de la diversité de notre clientèle. Quels sont les besoins des femmes qui utilisent nos outils dans les différents domaines, que ce soit dans le privé ou au travail? Pourquoi les achètent-elles? Nous avons fait diverses études à ce sujet dans plusieurs pays où les problèmes se posent diffé- remment. Nous avons constaté que les femmes ne souhaitent en aucun cas une ligne de produits qui leur soit dédiée spécifi- quement, avec des poignées roses ou plus petites. Elles veulent les outils fabriqués pour des professionnels et qui sont donc certainement fiables.
Les résultats de nos études ont également montré que les femmes veulent qu’on s’adresse à elles en tenant compte de leur milieu de vie. Elles veulent être conseillées et confortées dans leurs décisions d’achat. C’est pourquoi il est important de connaître et de comprendre les préférences des clients. De plus en plus de femmes se chargent dans le couple des travaux de bricolage. L’évolution sociétale nous montre aussi qu’il y a
de plus en plus de familles monoparentales, il est donc logique, lors d’une séparation, d’acquérir et d’utiliser une deuxième boîte à outils.
Des études européennes attestent qu’il y a aujourd’hui, dans les grands magasins spécialisés, davantage de femmes que d’hommes qui achètent des outils. Ce sont là des changements passionnants.
«Une entreprise doit avoir un visage» avez-vous dit. Pourquoi cela est-il important pour vous?
Nous sommes un grand fabricant de produits de marque qui s’est positionné dans des niches du marché et dont les produits haut de gamme sont fabriqués intégralement en Suisse. La qualité tout comme l’innovation y tiennent un rôle essentiel. Nous ne voulons pas satisfaire uniquement les besoins actuels, mais trouver aussi des réponses aux nécessités futures. Notre marque promet donc qualité et innovation. Pour être assuré de l’avantage supplémentaire qu’offre une marque, il faut qu’elle soit identifiée comme inspirant confiance. Elle est comme un phare servant à s’orienter. Par conséquent, notre marque est synonyme d’articles et de nouveautés de haute qualité.
L’intérêt pour les nouveautés est souvent suscité par des infor- mations véhiculées sur des sites web attrayants. C’est pourquoi, en tant que producteur, nous sommes particulièrement attentifs aux mises à jour. Une présentation excellente et un conseil éclairé en magasin peuvent convaincre le client de choisir la nouveauté s’il a la possibilité de toucher le produit et de tester ainsi sa prise en main et sa qualité. Il en va de même avec la marque. Plus elle acquiert de notoriété, mieux son profil se distingue, ce qui renforce la crédibilité et la confiance.
Vous apparaissez souvent en public afin de donner un visage à PB Swiss Tools. Quelle image de soi faut-il avoir pour cela? Et cette image fait-elle partie du rôle de l’entrepreneur-e?
Je pense que oui, pour plusieurs raisons. En nouant le dialogue avec différents groupes, je donne un signal d’ouverture. Je veux savoir ce qui intéresse nos groupes cibles, ce qu’ils souhaitent et quelle opinion ils ont de PB Swiss Tools. Peut-être les groupes cibles ont-ils aussi des questions critiques à me poser et je ne peux y répondre que si je me m’approche d’eux et suis dispo- sée à dialoguer.
D’un autre côté, je sais que le travail de relations publiques donne de la force à nos messages. Je soutiens à cent pour cent nos produits et j’envoie les messages correspondants. Cela génère la confiance. Or, cette confiance est particulièrement précieuse dans les moments difficiles. C’est ainsi que, lors de la crise financière, j’ai déclaré publiquement que nous ne pourrions pas éviter des réductions de personnel, mais que nous ferions tout pour que les collaborateurs licenciés puissent retrouver un emploi. Nous avons renforcé notre communica- tion au moyen d’annonces et nous avons procuré des postes à nos collaborateurs. Des messages négatifs peuvent avoir ainsi un effet positif. Une situation semblable s’est présentée lors de la décision de la BNS en janvier 2015 lorsque, en dépit de graves incertitudes et d’un effondrement des prix de seize pour cent, nous avons pris un engagement pour un projet de film de la SRF. L’expérience de la crise financière m’a montré qu’une communication claire et régulière à l’intérieur et à l’extérieur n’apporte que des avantages.
Vous fabriquez des produits techniques, or la technique ne se prête pas vraiment à la communication; c’est pourquoi PB Swiss Tools met souvent en avant l’utilité de la technique, c’est-à-dire sa plus-value pour le consommateur. Comment êtes-vous parvenue à cette conclusion?
Les produits techniques sont effectivement souvent coûteux et nécessitent des explications, ce qui rend le processus de vente et d’achat assez complexe. Le vendeur doit attirer l’attention sur ce qui présente un plus du point de vue de l’acheteur ou de l’acheteuse. Si j’explique à une acheteuse qu’elle réussira mieux en utilisant l’un de nos tournevis, d’une part elle se sentira comprise dans ses besoins et, d’autre part, je pourrai lui faire comprendre quel bénéfice supplémentaire elle en retirera à long terme. Il est particulièrement important de montrer les possibilités d’utilisation à ceux qui n’ont que peu de connais- sances techniques. Il s’agit en définitive, en coopération étroite avec le commerce, d’offrir à nos clients la solution adéquate.
Depuis des décennies, l’entreprise s’attache à la qualité, à l’in- novation et à l’automatisation avec les nouvelles technologies. Je suis depuis vingt ans dans la maison et toujours attentive à créer d’excellents produits. Nous accordons aujourd’hui davan- tage de valeur à la manière de communiquer sur notre qualité incomparable. Nous ne sommes pas seuls à nous focaliser sur la communication multicanale. Dans la concurrence globale, la différence d’identité doit être visible. Avec des messages appro- priés, nous créons la demande. Numérisation et globalisation nous forcent à adapter encore mieux le choix des contenus aux groupes ciblés et aux canaux de communication. Le sentiment de confiance ressenti est un critère de choix décisif.
Une marque forte se crée par la valeur élevée du produit. C’est une grande chance pour les ingénieur-e-s qui mettent au point des produits compétitifs adaptés aux besoins. C’est assurément sur cela qu’il faut compter.
Vous avez dit une fois qu’un produit ne se vend pas selon son prix, mais selon sa valeur. Qu’entendez-vous par là?
Cela est une fois encore une question de plus-value. Pourquoi une personne choisit un de nos produits est une question de valeur individuelle, la réponse à un problème qu’elle peut résoudre grâce à ce produit. C’est pourquoi nous sommes très attentifs dans notre communication à envoyer des messages ciblés aux utilisateurs et utilisatrices, mais aussi au commerce.
Vous soulignez régulièrement que vos produits doivent couvrir les besoins des clients et des clientes. Comment faites-vous pour reconnaître ces besoins?
Grâce au fait que les collaborateurs des secteurs développe- ment, marketing et vente forment une équipe, qu’ils vont voir les consommateurs finaux et observent leurs comportements. Les agents commerciaux de nos partenaires de distribution sont en dialogue permanent avec les utilisateurs et nous font part de leurs constatations. Nos concepteurs examinent les besoins des utilisateurs et cherchent des solutions pour satisfaire les exi- gences des clients. Ils trouvent le moyen de concevoir le proto- type et la fabrication en série qui répondra à ces exigences.
Nous organisons des ateliers auxquels nous invitons intention- nellement des utilisateurs et utilisatrices ainsi que des acheteurs et acheteuses parce que c’est grâce à eux que nous pouvons connaitre leurs préoccupations individuelles. Nous appliquons aussi cette forme d’inspiration et de vérification quand nous testons des prototypes. Les ateliers servent également à analyser les tendances. Un exemple est le besoin de moteurs électriques: quelles vis et quels éléments de liaison doivent être utilisés pour quelle technologie? La recherche documentaire (desk research), nous permet d’obtenir des informations significa- tives. En complément, des observations dans la production sont indispensables, aussi nos collaborateurs vont-ils voir les profes- sionnels dans les ateliers où sont montés et réparés les moteurs électriques et constatent sur place les problèmes qui se posent. Quels sont les besoins, qu’est-ce qui est satisfaisant et qu’aimerait-on faire autrement? Nous discernons donc des tendances et essayons de comprendre et de circonscrire les problèmes posés pour fabriquer ensuite les prototypes correspondants.
Mais nous travaillons aussi avec des instituts, des écoles profession- nelles supérieures et des universités et nous trouvons par exemple à quoi doit ressembler un tournevis utilisé par un robot.
Nous examinons les problèmes posés en collaboration étroite avec des experts et déterminons dans quel délai une évolution doit s’effectuer et quelles exigences cela entraîne.
La diversification des équipes en ce qui concerne l’âge et le sexe est pour vous un moyen pour parvenir au but. Etes-vous convaincue que cela favorise l’innovation? Pouvez-vous nous citer concrètement un produit sorti d’une telle équipe?
Par exemple, l’introduction de codes couleurs (les outils sont d’une couleur spécifique selon leur taille) n’aurait pas été réali- sée sans des équipes diversifiées. Nous avons lancé cet instru- ment en 2000.
Lorsque nous faisons des voyages d’affaires chez nos partenaires commerciaux, nous rendons aussi visite aux clients finaux. C’est ainsi qu’en discutant avec un ingénieur de Toyota, nous avons été informés du temps perdu pour chercher l’outil approprié. L’idée d’une échelle de couleurs nous est venue le soir autour d’une bière. De retour en Suisse, nous avons examiné toutes les variantes possibles dans la conception et la production. Nous nous sommes inspirés des crayons de couleur Caran d’Ache. Nous avons produit un prototype et l’avons donné à tester à l’intérieur et à l’extérieur. Quelques réponses indiquaient que les hommes ne souhaitent pas d’outils multicolores. En dépit de ces réserves, l’équipe commerciale, composée de femmes et d’hommes, a décidé d’implanter cette nouveauté sur le marché. Une acheteuse nous a confirmé dans notre décision en choi- sissant cette nouveauté pour une promotion et en augmentant le chiffre d’affaires grâce à cette nouveauté mondiale. Je fus très étonnée de la vitesse avec laquelle ce produit s’est imposé sur le marché. Un signe manifeste que ce code couleurs est fonction- nel et attrayant. Simplicité, efficacité et gain de temps ont aussi convaincu les hommes.
Pratiquement tous les fabricants d’outils ont copié l’idée et l’ont intégrée sous une forme semblable dans leur gamme de produits.
Vous avez dit que la capacité d’investir est importante notamment dans les entreprises axées sur l’innovation. Avez-vous des budgets dédiés? Et par quelles autres mesures structurelles entretenez-vous l’esprit novateur?
Les ressources sont la clé de l’innovation. Des collaborateurs diversement qualifiés disposant d’espaces de liberté condi- tionnent la créativité. Les idées font leur chemin dans des processus sophistiqués et des formes différentes d’organisation et sont étudiées par une équipe diversement composée. En fonction des problèmes qui se posent, elle fait appel à d’autres personnes. Les solutions recherchées visent à assurer que la solution du problème couvrira bien un besoin des clients. Ce faisant, il ne faut pas perdre de vue le potentiel de plus-value pour le client et la possibilité d’accroître les parts de marché. Il est nécessaire d’être prêt à investir dès le stade de l’étude pré- liminaire. Les résultats qui en sortiront décideront si une étude sera commandée. Lors de cette phase, nous investissons sans savoir si nous pourrons plus tard réaliser un profit.
C’est pourquoi nous avons un budget pour des études préli- minaires. Des collaborateurs y sont affectés pour analyser les besoins et la demande.
Vous avez dit, je cite: «Même dans les époques de bouleversement,
l’entrepreneure se fixe et fixe aux autres une direction. La référence à des valeurs est importante pour répondre au manque de stabilité, de sé- curité et de gérabilité dans un contexte de mutation permanente.» Que signifie ce «principe» dans le quotidien de votre entreprise?
J’attends de mes collaborateurs tous les changements possibles pour autant que je puisse assurer la continuité. Cela vaut natu- rellement pour les situations que je suis en mesure d’influencer. A la différence des défis exogènes que je suis obligée d’accepter avant que l’équipe de direction décide comment y faire face: mot-clé crise financière. Les changements nous confrontent à des chances et à des risques. Ils sont souvent en relation directe avec une transformation de la société, des évolutions de l’économie, etc. C’est pourquoi ils sont complexes et difficiles à traiter. Nous essayons d’aborder les changements de manière ciblée et proactive. C’est pourquoi nous analysons très tôt les tendances et les évolutions afin que ces changements puissent se produire autant que faire se peut dans des conditions favo- rables. Selon l’ampleur des influences imposées de l’extérieur, il n’est pas rare de se trouver face à une phase d’incertitude et de quête d’orientation, par exemple lors de la décision de la BNS. Dans ce genre de situations, ma tâche en tant que CEO consiste précisément à communiquer ouvertement avec toutes les parties concernées afin de garantir la plus grande stabilité possible. Cela peut aller par exemple jusqu’à promettre à nos collaborateurs que personne n’aura à céder son emploi à un robot. La même chose vaut pour les projets avec des réfugiés
ou pour l’intégration de personnes handicapées.
A quelles transformations l’entreprise PB Swiss Tools est-elle confrontée?
D’autres transformations s’annoncent dans le contexte d’in- dustrie 4.0. Nous travaillons de plus en plus souvent selon des processus déterminés par l’interaction entre homme, techno- logie et données. Nous disposons par conséquent de plus en plus de données et de connaissances permettant l’optimisation et le développement continu. Dans le domaine production, par exemple, nous reconnaissons très vite quels facteurs font
augmenter ou baisser la productivité, quels dysfonctionnements et quelles pannes peuvent être corrigés plus vite et efficace- ment par le réglage d’une machine ou des mesures préventives d’entretien. Nous savons plus exactement combien de pièces sortent de chaque ligne de production. La même chose vaut pour la gestion quotidienne. Il en résulte une toute autre transparence de la prestation rendue possible par la coopéra- tion entre l’homme et la machine. La visualisation des données et des résultats est donc d’une haute importance. Dans notre communication habituelle, nous y faisons très consciemment attention afin d’en tirer des enseignements.
La numérisation permet l’accès à de nouveaux canaux de distribution et de modes de communication. Pour cette raison, nous avons introduit des mesures qui nous aident dans la mise en œuvre de notre stratégie multicanale. La focalisation sur des projets sélectionnés nous aide à mieux utiliser notre capacité à
dialoguer avec nos clients et à assurer la présence de la marque.